Gabriel est facteur. Il aime son travail, qu'il exerce depuis très longtemps sur l'île. Ses articulations commencent à le faire souffrir, mais il continue à pédaler sur son vélo pour apporter quelques nouvelles aux insulaires. Malgré lui, il devient le complice d'un auteur de cartes sinistres, un corbeau qui trouble peu à peu le quotidien et les consciences des habitants de la petite île. Les voisins se surveillent du coin de l’œil, telle vieille dame au-dessus de tout soupçon ferait une coupable idéale, ou cet étranger du continent installé depuis peu pourrait être l'auteur des phrases tendancieuses...
Le bar La Marine est le pivot de l'île, celui où se rassemble les hommes, où se délient les langues, on conjecture, on innocente, on se méfie. Son contrepoids, féminin et plus mesquin : l'épicerie. Le tout sous le vent, la pluie, les embruns.
Les insulaires s'épient, et soupçonnent même les touristes. On sourit des comportements de certains, mais c'est un sourire un peu triste, un peu figé, parce que leurs petites mesquineries ou étrangetés sont si humaines, si misérables au fond, qu'on ne peut pas se moquer d'eux. Quant à la cruauté, elle est aussi à la portée de tous. C'est un roman noir glaçant, parce que l'ennui et le désespoir sont des mobiles tragiques.
L'écriture de Christophe Carlier est magnifique, et j'ai dévoré
Ressentiments distingués, qui m'a parfois fait penser à
Un roi sans divertissement de Giono et aux
Dix petits nègres d’Agatha Christie. Il y a beaucoup de finesse dans la façon dont l'auteur croque les habitants de l'île et partage leurs visions, leurs émotions. Cela donne un tableau claustrophobique, angoissant et glaçant, j'ai eu la sensation d'être prisonnière de l'île, suspendue à mon tour entre mer et terre, en attente de vie. J'ai terminé ma lecture le cœur serré par le dénouement, qui n'apporte aucun soulagement mais au contraire souligne la cruauté et le désespoir des petites existences mesquines.
« Au revers des plus jolies robes, s'étalent la disgrâce des coutures, les imperfections du tissu, le rail sans poésie d'une fermeture éclair. Quelqu'un a-t-il jamais retourné l'île ? Derrière l'écume et les falaises, on distingue à présent des pans d'étoffe mal ajustés, des coutures irrégulières, aussi inévitables que, sous la peau, l'enchevêtrement des veines et des ligaments. L'affreux désordre que révèlent les écorchés. » p.60