Mon avis :
Dans cette nouvelle de Guy de Maupassant, qui se déroule pendant la guerre franco-prusienne, qui se eut lieu de juillet 1870 à janvier 1871, Rouen est envahie par les Prussiens. Durant l’hiver, alors que la neige tombe sur la ville, dix personnes prennent une diligence en direction de Dieppe, pour fuir l’occupant. Les passagers sont M. et Mme Loiseau, des marchands de vin, M. et Mme Carré-Lamadon, des bourgeois, le comte et la comtesse Hubert de Bréville, M. Cornudet, un démocrate, deux religieuses et Boule de Suif. Ils vont devoir faire un voyage difficile, dans des conditions peu confortables, d’autant plus qu’un seul d’entre eux a pensé à prendre des provisions. Le soir venu, le cocher décide d’arrêter la diligence et de passer la nuit dans une auberge avec ses voyageurs. Cependant, celle-ci est occupée par les Prussiens et ils refusent de les laisser reprendre la route, à moins que…
Tout d’abord, je vous propose un extrait de la description de Boule de Suif, qui doit son surnom à son physique et qui n’est autre qu’une prostituée, car je l’ai trouvée formidable : « Petite, ronde de partout, grasse à lard, avec des doigts bouffis, étranglés aux phalanges, pareilles à des chapelets de courtes saucisses, avec une peau luisante et tendue, une gorge énorme qui saillait sous sa robe, elle restait cependant appétissante et courue, tant sa fraîcheur faisait plaisir à voir ». J’adore la façon dont Maupassant jouer avec les mots, le portrait plutôt hideux qu’il nous dresse de cette femme, la comparant à de la nourriture, pour finir par dire qu’elle était néanmoins attirante.
Passons désormais à l’intrigue. Lorsqu’ils se retrouvent tous dans le fiacre, ils se regardent les uns les autres, faisant la moue en voyant qu’ils vont partager leur voyage avec Boule de Suif, cette femme de petite vertu. Cependant, lorsqu’ils découvrent qu’elle est la seule à avoir pensé à prendre des provisions et qu’elle est, de surcroît, prête à les partager avec ses compagnons de route, elle devient tout de suite beaucoup plus intéressante. Les langues se délient alors et ils échangent même quelques propos avec elle. Tout d’un coup, sa situation sociale et sa profession ne sont plus que des détails insignifiants. Mais par la suite, le lecteur va découvrir que cette femme est au final la plus humaine de tous. C’est elle qui a le cœur sur la main et est prête à se sacrifier pour la communauté, alors que les autres seront loin de lui rendre la pareille.
C’est donc un très bel ouvrage classique, qui nous montre que les apparences sont souvent trompeuses et qu’il ne faut pas s’y fier. Les nobles et bourgeois sont finalement beaucoup plus mauvais que ceux qu’ils considèrent comme le bas de la société. La fin m’a réellement scandalisée, et j’ai été sincèrement dégoûtée par le comportement de toutes ces personnes qui se veulent bien pensantes et qui, finalement, sont révoltantes d’hypocrisie. Le tout est servi par la plume magnifique de Maupassant. Il dépeint son intrigue d’une façon très réaliste, ce qui a pour effet de nous embarquer directement dans le récit. La narration en devient époustouflante. C’est donc un superbe ouvrage que je vous recommande vivement.